Personnes neuroatypiques

Neurodivergence, TSA, « sur le spectre », TDAH, Syndrome d’Asperger… de qui parle-t-on exactement? 

Les termes « neurodivergents » ou « neuroatypiques » réfèrent aux personnes dont le développement ou l’état neurologique se situe à l’extérieur des normes traditionnelles. Ils désignent ainsi plusieurs réalités, comme le trouble du spectre de l’autisme (TSA) et le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Certaines personnes préfèreront les termes liés à la neurodivergence afin d’éviter de voir ces conditions simplement comme un trouble ou une maladie. « Asperger » ou « Aspie » sont utilisés par plusieurs membres de la communauté autiste, mais les origines de l’expression peuvent indisposer (Asperger est un chercheur qui a réalisé certaines de ces expériences à l’époque de l’Allemagne nazie).

Des diagnostics spécifiques comme la dyslexie et le TDAH jouissent déjà d’une bonne reconnaissance et d’accommodements au sein des milieux scolaires. À l’opposé, le trouble du spectre de l’autisme (TSA) ne bénéficie pas encore de la même reconnaissance dans nos milieux de travail. Ce dernier englobe une grande variété de traits neurologiques et caractériels qui seront vécus de manière plus ou moins troublante en fonction des individus et des contextes. Il est parfois difficile pour les adultes neuroatypiques d’obtenir un diagnostic et des accommodements. Les appellations médicales (TDAH, TSA) peuvent devenir utiles dans le cadre de démarches avec les ressources humaines.

Certain-es militant-es nous invitent à prendre conscience du caractère neuronormatif de nos organisations. Ces dernières n’ont pas souvent été réfléchies en termes d’accessibilité et malgré des intentions souvent louables, n’ont pas les ressources pour répondre à toutes les demandes. Heureusement, plusieurs organisations pilotées par des personnes autistes ont réfléchi à des solutions et permettent d’envisager des accommodements qui aideront les talents souvent remarquables de ces personnes à s’épanouir pleinement.

Au premier abord, les personnes neuroatypiques ne semblent pas vraiment différentes de la majorité de mes collègues. Pourquoi ne pas simplement les traiter comme n’importe qui? Au fond, ne sommes-nous pas tous et toutes un peu autistes? 

Certaines caractéristiques des personnes neuroatypiques constituent une forme de handicap invisible parce qu’ils ne sont pas reconnus ou perçus par les tiers, ce qui peut compliquer passablement la vie des individus concernés. Qui plus est, on ne connaît pas encore très bien l’ensemble des cas de figures de la neurodiversité. Deux personnes qui se situent sur le spectre de l’autisme ne partageront pas nécessairement les mêmes traits. Le TDAH à l’âge adulte demeure relativement méconnu par rapport à la prise en charge de cette problématique chez l’enfant.

Plusieurs personnes tenteront d’aller chercher un diagnostic officiel afin de voir leur condition reconnue et bénéficier de certains accommodements, mais il s’agit souvent d’un processus long et coûteux: peu de professionnels dans le secteur public peuvent évaluer l’ensemble des situations. Nous savons également que les femmes rencontrent plus de difficultés pour faire valider une condition neuroatypique. La reconnaissance est plus aisée pour certaines catégories de personnes autistes (niveau 2 et niveau 3, pour se référer au vocabulaire médical actuel) chez qui les traits sont plus évidents et qui ne peuvent fonctionner de manière autonome dans un monde fabriqué pour les personnes neurotypiques.

Un adulte qui souffre du TDAH doit composer avec une dysfonction exécutive, c’est-à-dire des enjeux cognitifs qui rendent plus difficile la réalisation de certaines tâches. Elles ne peuvent pas toujours fonctionner au même rythme que leurs collègues neurotypiques, même si la plupart finissent par développer des trucs pour mieux performer (par exemple, décortiquer les tâches en faisant des listes très précises).

Les personnes autistes de niveau 1 doivent composer avec un grand nombre de situations problématiques mais parviennent souvent à demeurer invisibles. Expert-es du camouflage et de l’adaptation, elles finissent par développer une sorte de masque afin de naviguer le “champ de mines” des rapports interpersonnels et professionnels. Ce processus se déploie à mesure que la personne remarque des inconforts dans ses interactions sociales, des malaises plus ou moins évidents qui finissent par s’accumuler et peser lourdement. En effet, plusieurs autistes peinent à déchiffrer l’ensemble des intentions, émotions et autres états d’esprits de leurs interlocuteur-rices (qui, avouons-le, ne sont pas toujours parfaitement clairs ou rationnels). Un peu comme des visiteurs intergalactiques qui viendraient de découvrir la planète Terre, ces personnes doivent déchiffrer les situations et les individus en permanence pour bien comprendre l’ensemble des codes sociaux requis pour bien communiquer et socialiser. 

Un autre trait invisible et largement répandu chez les personnes autistes contribue à alourdir le quotidien: l’hypersensibilité sensorielle, ou trouble de modulation sensorielle. Imaginez que des perceptions habituelles pour une personne neurotypique, comme le bruit dans une rame de métro, des éclairages au néon ou encore des parfums dans un magasin, ne soient jamais reléguées au second plan par habitude, mais accaparent vos sens comme un stress perceptuel à chaque instant. Cette condition peut affecter plusieurs sens de manière inégale.

Anxiété sociale, camouflage, surcharge sensorielle… tout ceci occasionne une dépense d’énergie additionnelle pour les personnes autistes. Il faut insister ici sur un élément important: ces personnes redoublent d’efforts pour s’intégrer. À force de brûler la chandelle par les deux bouts, elles risquent de s’effondrer sous la fatigue. Toute adaptation nécessite des ressources, et une adaptation constante finit inévitablement par épuiser (une dynamique que la majorité des personnes neurotypiques ont pu observer personnellement au cours de la pandémie).    

Et donc, face à cette lourdeur cognitive et sensorielle du quotidien, il est à peu près impossible d’intégrer adéquatement les individus concernés dans un milieu d’éducation ou au bureau? 

Pour un milieu de travail qui n’a jamais pris conscience de ce genre de condition, la marche peut effectivement paraître très haute. Considérant le caractère relativement banal des demandes les plus courantes (offrir plus de flexibilité au niveau des horaires, adapter l’éclairage et insonoriser), on peut aussi prendre un peu de recul et constater que nos milieux de travail peuvent se révéler particulièrement intraitables face à ces enjeux. 

Si les contraintes physiques de l’entreprise ne permettent pas d’assurer un espace de travail adapté aux individus (par exemple dans un bureau à aire ouverte), le télétravail peut devenir une solution intéressante. Pour une personne neuroatypique qui souffre d’hypersensibilité, le fait de devoir se rendre au bureau dans une formule rigide (le 9 à 5, par exemple), sur la route ou dans les transports en commun, provoquera inévitablement des surcharges sensorielles. Dans ce contexte, deux ou trois jours de télétravail par semaine pourraient faire une grande différence dans le “bilan sensoriel hebdomadaire” de votre collègue et lui permettre de mieux tolérer les irritants dans son milieu de travail.

L’équilibre est parfois difficile à trouver. Vos collègues autistes ne disposent pas nécessairement d’un logement adapté, et les plateformes de télétravail ne sont pas toujours de tout repos au niveau sensoriel. Une bonne partie de la population a pu expérimenter la “fatigue Zoom” à divers moments de la pandémie; imaginez faire face à des interférences sonores, des conversations saccadées avec les visages de vos collègues étrangement découpées devant un arrière-plan virtuel, et l’ensemble des inconforts techniques que nous connaissons maintenant très bien, alors que vous souffrez d’hypersensorialité!

Malgré toutes ces difficultés, les personnes neurodivergentes excellent souvent dans leur travail. Les adultes aux prises avec un TDAH peuvent entrer dans une période d’ « hyperfocus » qui leur fera aisément rattraper le temps perdu, et leur permet même souvent de dépasser les attentes. Dans l’ensemble, les gens neuroatypiques ont développé de nombreuses stratégies d’adaptation afin de réussir à intégrer les milieux professionnels. Il semble donc logique pour ces milieux de démontrer une certaine ouverture en retour de manière à accommoder cette diversité.

Les réalités neuroatypiques semblent varier énormément d’une personne à l’autre. Comment faire pour accommoder toutes ces réalités divergentes? 

Considérant l’ampleur et la disparité des problématiques, il faut bien comprendre qu’il n’y aura pas de solution magique qui fonctionne avec tout le monde. Offrir un environnement de travail “normal”, identique pour toustes, et se montrer intraitable face aux demandes d’accommodement, ce n’est pas offrir un environnement particulièrement adapté pour les êtres humains. Dans un contexte où la main d’oeuvre qualifiée est de plus en plus rare, une entreprise ou une institution d’enseignement devrait être assez agile pour s’adapter aux besoins de ses employés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, cette exigence d’adaptation est même inscrite dans le code du travail de plusieurs pays, par exemple le Royaume-Uni et le Canada. 

L’idéal consiste toujours à ouvrir le dialogue avec chaque individu pour essayer de trouver les solutions les plus adaptées. En effet, pourquoi ne pas simplement discuter avec la personne neuroatypique afin de mieux connaître les inconvénients spécifiques qui l’empêchent de se concentrer sur ses tâches ou de se sentir épanouie au travail? 

Dans un monde idéal, on pourrait prendre le temps d’écouter tout le monde afin de créer des conditions gagnantes pour le bénéfice de tous. Les milieux d’enseignement ou de travail font face à des contraintes qui rendent parfois difficile la gestion de ces réalités au “cas par cas”. Si votre organisation n’est pas encore assez agile pour accommoder ces réalités individuelles, nous vous recommandons d’adopter des politiques plus générales par rapport à deux aspects qui pourront faire une énorme différence pour faciliter l’inclusion de la neurodiversité: les accommodements au niveau sensoriel, et la flexibilité au niveau de l’horaire et de la présence en milieu de travail. Cela ne pourra pas régler tous les enjeux sociaux liés à l’autisme, bien entendu. Mais les organisations qui se sont montré agiles face aux réalités neuroatypiques ont pu constater le fort potentiel de ces individus.

Je remarque qu’un ou une collègue adopte un comportement compulsif, est moins communicatif que d’habitude et fait preuve de rigidité. Qu’est-ce qui se passe? Que faire? 

Face aux surcharges, au stress et à la fatigue, les personnes neuroatypiques, comme n’importe quel être humain, adoptent des stratégies de compensation. Souvent, il s’agit de se recentrer sur soi ou de retrouver un univers connu et réconfortant. Ces comportements sont parfois exacerbés chez les individus qui se situent sur le spectre de l’autisme, au point où la rigidité, le repli sur soi ou sur une activité spécifique (le fameux “intérêt spécial”) sont carrément associés au diagnostic. On peut retrouver des traits similaires chez les adultes au prise avec un TDAH.

Si votre collègue cesse de communiquer, semble particulièrement intraitable dans son attitude et ses affirmations, ou adopte un comportement compulsif, ce peut être un signe de surcharge et d’épuisement. Pourquoi ne pas aborder le sujet avec la personne, en lui soulignant son comportement de manière bienveillante, ou lui demander si elle ou il désire prendre une pause? Dans certains milieux de travail, le fait de permettre à la personne de s’adonner momentanément à son intérêt particulier pourrait contribuer grandement à son bien-être et à sa productivité. 

Parfois la rigidité et le repli sont liés directement à un climat professionnel lui-même rigide. Le dialogue peut faire place à un conflit entre l’employeur et le travailleur. Les interlocuteurs se prêteront de mauvaises intentions, testeront leurs limites et pourront même se sentir persécutés. Idéalement, les personnes responsables des ressources humaines devraient bien connaître les réalités neuroatypiques afin de désamorcer d’éventuelles situations tendues. Si l’organisation fait face à des contraintes qu’elle ne peut modifier rapidement, une explication rationnelle de ces motifs sera déjà beaucoup plus appréciée qu’une simple fin de non recevoir. 

Globalement, l’inclusion de personnes neuroatypiques repose sur une simple prise de conscience: il s’agit d’accepter cette différence, de ne pas s’entêter à vouloir la faire correspondre au moule neuronormatif, bref, de respecter ces réalités spécifiques et d’apprendre à interagir au cas par cas. 

Pour en apprendre plus:

-En quelques minutes

-Pour le plaisir  

  • Adam, un film écrit et réalisé par Max Mayer, 2009
  • Adora and the Distance, une bande dessiné de Marc Bernardin illustré par Ariela Kristantina et Bryan Valenza, 2022
  • An Aspie Life, un jeu vidéo indépendant de Bradley Hennessey et Joe Watson, 2018, disponible gratuitement sur Steam
  • Atypique, une série télé de Robia Rashid, 2017, disponible sur Netflix
  • La différence invisible, un roman graphique de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline, 2016

-Lectures suggérées

  • L’autisme, une autre intelligence: diagnostic, cognition et support des personnes autistes sans déficience intellectuelle, de Laurent Mottron, 2004, Éditions Mardaga, 238 p.
  • L’autisme expliqué aux non autistes, de Brigitte Harrisson et Lise St-Charles, 2017, Éditions Trécarré
  • The Complete Guide to Asperger’s Syndrome de Tony Attwood, 2008, Éditions Jessica Kingsley, 400 p.
  • Dans ta bulle! Les autistes ont la parole, écoutons-les!, de Julie Dachez, Éditions Marabout, 252 p.
  • Questions sensorielles et perceptives dans l’autisme et le syndrome d’Asperger, de Olga Bodgashina, 2012, 371 p.